Percy, l’expérience d’une dimension cachée.
Je ne savais pas exactement ce qu’allait me révéler une immersion de quarante jours dans un hôpital, qui plus est militaire, où seuls les initiés peuvent évoluer librement grâce à une connaissance approfondie des codes.
Bien qu’étranger à ces deux milieux, ce qui représentait pour moi une double difficulté, l’intégration a été rapide et tout à fait naturelle, favorisée par une institution désireuse de porter un regard fidèle sur elle-même et de s’associer à la sensibilité du photographe, à sa curiosité artiste – non voyeuriste donc – de découvrir un univers méconnu.
Mon admiration palpable vis-à-vis du personnel soignant a gagné spontanément sa confiance et, ce faisant, m’a ouvert les portes de tous les services. Mais il restait encore à conquérir le cœur des malades.
Comment pouvais-je entrer dans leur intimité sans troubler leur solitude face à la maladie ?
D’abord, quand j’arrivais dans un nouveau service, je restais trois ou quatre jours, appareil photo autour du cou, jamais l’œil dans le viseur, à errer dans les couloirs. J’observais l’organisation de la hiérarchie et des différents soins, et j’essayais de capter derrière des portes entrouvertes le regard des patients, avec discrétion.
Puis, j’entrais dans leurs chambres.
Les plus vifs s’interrogeaient aussitôt sur ma présence et me demandaient qui j’étais. Les rassurer sur mes intentions me permettait de nouer des liens étroits, propices à des photos authentiques.
Les autres s’accommodaient de la légitimité que me conféraient les équipes soignantes. Je voulais témoigner pudiquement et sincèrement de cet échange particulier entre patient et soignant, de ces liens invisibles qui dépassent largement les soins.
L’empathie dévoile la souffrance tant physique que psychologique. Je pouvais ainsi cristalliser cette main invisible tendue vers le médecin, cette intimité fragile où les patients qui espèrent guérir ne sont plus seuls face à leur maladie.
C’est à cet instant que j’ai pris conscience que mon travail se focalisait essentiellement sur l’aspect humain. Et que le noir et blanc était le plus approprié. Surtout en réanimation, entre ombre et lumière, pour révéler l’instant où la vie est en suspend...
Cette réalité, édulcorée par mon regard protégé derrière le filtre d’un objectif, me parvenait comme une mise en scène théâtrale et improbable, souvent surréaliste, où la frontière entre la vie et la mort oscille. Malgré ce mécanisme psychique de protection, le ressenti de mes autres sens traduisait d’autres sentiments qui ne me laisseront pas indemne.
De la réanimation à l’hématologie en passant par l’ergothérapie, les enjeux, l’urgence et l’énergie de chaque service diffèrent. Ici, on est dans l’instant présent où une vie doit être sauvée, là, on est sur une reconstruction progressive qui vise à l’émancipation du patient…
Je me suis aperçu que j’étais tantôt un acteur passif qui observait les scènes, tantôt un acteur actif dont la présence aidait le patient à accepter sa propre vision de la pathologie.
En définitive, mon travail devenait bien plus important que je ne l’avais imaginé car la réalité de Percy, qui s’est imposée brutalement à moi, devenait ma propre réalité, et par écho, celle du monde.
Loïc Jean-loup Flament, mars 2017.
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